4. mars, 2022
Tribune : Boycotter les présidentielles est légitime !
Il règne en France une ambiance tout à fait inédite à quelques semaines du premier tour d’une élection présidentielle. Le 13 janvier, s’est produit une grève générale de l’enseignement public, massivement réalisée par les enseignants et aussi par les surveillants, les Atsem des écoles maternelles, les AESH (accompagnatrices d’élèves handicapés), et qui par eux a parfois touché des assistantes maternelles. Samedi 12 février, à nouveau des milliers de « Gilets jaunes » sont montés sur Paris, dans un mouvement dit « hétéroclite » par les principaux médias, sur des mots-d’ordre qui ne le sont pourtant guère : contre les fins de mois difficiles et la hausse des prix et pour la hausse des salaires, contre le passe vaccinal, contre Macron. Plusieurs organisations syndicales ont été conduites à appeler à des actions nationales, le 26 janvier et bientôt le 17 mars. Les grèves pour les salaires, nombreuses, se poursuivent. Réalise-t-on que nous sommes juste avant le premier tour ?
Mais sur les chaînes d’info en continu comme dans les états-majors politiques, on semble ne pas réaliser, à l’inverse, ce qui se passe dans la vie quotidienne du pays. Ce ne sont que faux débats sur « l’insécurité » et sur « l’immigration ». Incessamment, on va nous demander de voter Marine Le Pen pour faire barrage à Éric Zemmour. Dire cela est ironiser un peu. A peine !
"Je n'attends rien de l'élection qui v
ient, si
ce n'est la confirmation de cette mécanique délétère qui confère le rôle de rempart contre l'extrême droite à une classe politicienne de plus en plus gagnée par ses co
ncepts.",
disait récemment Jacques Rancière dans un entretien à l’Obs.
Ce théâtre d’ombres tourne à vide mais tourne. A gauche aussi, les uns voudraient encore croire à une présence au second tour quand la majorité de l’ancien électorat, celui du pays réel, ne regarde plus la scène, les autres rêvent de franchir la barre des 5%, grandiose ambition. Jamais la coupure n’a été telle.
Faut-il s’en étonner ? Faut-il s’en étonner quand les prix explosent et que l’avenir climatique et mondial est regardé avec effroi et refus par les jeunes ? Faut-il surtout s’en étonner après ce mandat présidentiel d’affrontement social qui n’a rien réglé et tout aggravé et dont le résultat est de proposer de tout recommencer en pire ? Qui peut croire sérieusement qu’il existe une majorité pour cela ?
Se saisir de la réalité exige de sortir des schémas militants habituels. Arrêtons de démissionner en confiant notre destin à d’autres et en faisant semblant de croire que le système institutionnel actuel peut aboutir à un vrai changement. C’est cela l’abstentionnisme, le vrai, la démission : en faisant ainsi semblant, les sphères militantes se situent en arrière de la conscience réelle de la majorité du peuple sur sa situation véritable.
Nous proposons d’intervenir dans la présidentielle de la seule manière efficace : en rendant l’abstention consciente et volontaire, en faisant d’elle le boycott du régime, pour ouvrir la voie à un changement de régime. Nous ne pouvons plus accepter qu’une personne à elle seule soit l’institution suprême de la République. Tel est le sens de la démarche que nous avons initiée par l’appel au boycott de la présidentielle, appel signé par quelques 140 militants, politiques, syndicaux, associatifs, Gilets jaunes, artistes ... et qui vise à susciter la formation de comités locaux et à favoriser un maximum d’initiatives. Il en est d’ailleurs d’autres : il est temps que foisonne l’expression de la volonté de sortir des clous de ce régime. Défendons le suffrage universel contre sa caricature dangereuse et frelatée !
Cet appel, en effet, se saisit d’une conjoncture – le moment exceptionnel présent, à condition d’en saisir la portée – pour exprimer des fondamentaux. Ce régime a été installé en profitant du climat créé par le putsch d’Alger du 13 mai 1958, ce qui a permis d’instaurer la toute-puissance du chef de l’exécutif, de ses préfets et de ses hommes de main. L’extrême-droite françaises aux têtes diverses s’est nourrie de cette histoire. Contre la république démocratique, sociale et laïque de la tradition révolutionnaire française, aussi bien que contre les conseils de travailleurs et l’auto-organisation des révolutions plus récentes, se dressent le président jupitérien, ses proconsuls et ses médias, dans un parfum permanent de scandales et d’interventions armées extérieures en dehors de tout contrôle démocratique. La conjoncture particulière des présidentielles faisant suite au quinquennat de guerre sociale « Macron » permet et impose de réaffirmer les fondamentaux de la démocratie contre la V° République, et contre l’extrême-droite dont le culte du Chef et le présidentialisme sont l’abreuvoir et la besace.
A commencer par celui-ci : nul n’en est propriétaire. Nous non plus ; nous ne voulons rien de plus, mais rien de moins, que d’aider notre peuple à en ouvrir les vannes. C’est pourquoi nous avons appelé ce boycott « constituant ». Cela veut dire que la colère sociale a besoin de produire sa propre politique. Elle en a la force car elle en porte la créativité.
Vincent Présumey