20. janv., 2022
Présidentielles : une autre voie, par Pierre Goldberg
Le texte qui est dans le lien à propos des prochaines élections présidentielles représente une profonde réflexion chez moi.
D’abord, je me suis longtemps interrogé, pour ce qui me concerne, de savoir si je devais participer à un vote qui inéluctablement depuis 20 ans (2002 et sans remonter plus loin) :
– Conduit à détourner notre vote (ce droit qu’il a fallu défendre si souvent) de toute signification visant à faire évoluer positivement la vie des gens,
– Conduit à vider la démocratie de tous ses apports émancipateurs,
– Conduit systématiquement à détruire tous les acquis sociaux obtenus de grandes luttes,
– Enfin, s’est soldé, au fil du temps, par un accroissement des idéaux d’une droite dure et de l’extrême droite, les deux de plus en plus néo-fascistes.
J’en suis arrivé à faire le constat que quel que soit mon vote, le pays et ses habitants risquent fort d’en reprendre pour cinq ans, période durant laquelle le chômage et la pauvreté vont encore plus gangrener la société, ou l’étape ultime sera la destruction totale de tous les services publics, de notre nature et de toutes ses richesses de plus en plus maltraitées, le tout accompagné d’un autoritarisme sans limite et appuyé par une police de plus en plus militarisée.
Pourtant, la non-participation au vote, en d’autres termes l’abstention, trop souvent confondue avec le silence et la passivité, ne pouvait pas satisfaire ma préoccupation première qui est d’en finir avec le système capitaliste.
Nous avons cherché à plusieurs et avons opté pour une posture qui nous semble la mieux à même d’en finir avec ce système de pouvoir personnel consistant à plébisciter une seule personne devenue le monarque, vidant le rôle des députés de toute possibilité de changer le cours des choses. Bref, une caricature de démocratie, une illusion démocratique dont l’objectif premier est de tuer tous débats et toutes interventions citoyennes. Et fait infiniment plus grave encore, l’élection présidentielle est une élection qui favorise la montée des idéaux néo-fascistes. A celles et ceux qui craignent que le refus de voter serve l’extrême droite, nous pouvons toutes et tous faire le constat que ce sont plutôt les situations qui ont découlé du vote Chirac au deuxième tour de 2002, du vote Hollande en 2012 ou du vote Macron en 2017 qui ont été à chaque fois des leviers pour l’extrême droite.
Ce piège, aujourd’hui au plus haut degré de gravité, a été préparé de longue date. Les tenants de la grande industrie et de la finance, les capitalistes en un mot, ont paniqué en voyant, fruit du programme de la résistance en 1945, la Sécurité Sociale dirigée par les représentants, dûment élus des salariés, ouvrant sur un budget supérieur à celui de l’État et débouchant, entre autres, sur la construction de CHU. Ils ont nourri les plus grandes craintes en voyant l’égalité progresser avec le développement inédit des services publics ; ils se sont affolés en mesurant la portée du système électoral à la proportionnelle, donnant par exemple à cette époque, un P.C.F. à 28 %. Les capitalistes et leurs mandants se sont ressaisis en 1958 en imposant une nouvelle constitution qui instaurait le pouvoir personnel.
Avec le grand mouvement social de 1968, avec les grandes grèves de 1995 et le formidable « tous ensemble », les plus grandes craintes regagnent les capitalistes. Et c’est alors le coup de force de Chirac/Jospin qui imposent les élections législatives dans la foulée des présidentielles, ce qui accroîtra encore les pouvoirs d’un seul et musellera l’opposition progressiste.
2002, 2007, 2012, 2017 et maintenant 2022, la démonstration est implacable : le suffrage universel a été vidé de son sens, la démocratie de tout contenu.Continuer à s’inscrire dans ce système m’apparaît, pour ma seule part, comme choisir de s’enfoncer dans ce tunnel sans issue, sauf à déboucher sur le pire.
L’heure est plus que jamais à tourner radicalement le dos à ces politiques désastreuses et tout autant aux systèmes électoraux qui les permettent.
Voilà pourquoi nous avons choisi de mener une campagne politique de boycott des prochaines élections présidentielles en considérant que c’était donner un coup de pied fort dans cette néfaste fourmilière, une posture de franche rupture avec le système présidentielle, dire « ça suffit »et lancer un appel à construire une autre système qui ne déposséderait plus le peuple de ses prérogatives sur les enjeux de société, redonnant toute sa signification au vote des citoyens en réintroduisant la proportionnelle.
On m’objectera que des candidats pour l’élection de 2022 portent dans leur programme l’instauration d’une nouvelle constitution. Tant sont infiniment tentants les habits dorés du présidentialisme qu’un homme comme François Mitterrand, opposé en 1958 à une nouvelle constitution et au pouvoir personnel, s’est sans hésitation revêtu des fastes du présidentialisme à tout crin.
A ce point du raisonnement, deux précisions s’imposent. On admettra en premier lieu que dans le scénario des présidentielles en ce début 2022, les chances qu’un candidat porteur d’un changement de constitution soit conduit à l’Élysée sont des plus minimes, ce qui induit obligatoirement une poursuite pour au moins cinq ans des désastreux choix qui abîment nos vies et la nature. Mais la seconde précision qui m’apparaît de la plus haute importance devrait conduire tous les progressistes à s’interroger.
Soit on pense que l’on gagne par la seule voie des élections présidentielles une nouvelle constitution et donc une nouvelle politique, soit, instruits par plus de quarante ans d’échec, on choisit un tout autre chemin, celui de l’intelligence des citoyens, de leur volonté, grâce à leur force collective et surtout de leur capacité à porter leurs espoirs et à donner des issues émancipatrices à leurs luttes.
Illusion que ce raisonnement ?
Le monde du travail chilien a conduit des luttes sociales puissantes en 2021. Les travailleurs du Chili ont intégré à leurs revendications leur volonté de voir aboutir une nouvelle constitution. Ce faisant, ils n’ont pas hésité, avec leurs syndicats, à se mêler de choix profondément politiques. Et ils ont gagné la tenue d’un référendum et la victoire pour eux au bout, le tout face à un pouvoir qui n’a rien à envier à la dictature Pinochet. C’est dans ce climat et après cette première victoire que le peuple chilien a choisi majoritairement un nouveau président de la république issu de la gauche combative et transformatrice. Reste au peuple chilien l’immense tâche de faire vivre les engagements pris.
Mais en France, que penser ?
Nous sommes dans un pays où les valeurs d’égalité, de justice et de solidarité sont majoritaires, où la critique du capitalisme est de plus en plus marquée et qui pourtant conduit les citoyens à désespérer de l’actuel système politique.
En cela, le boycott n’est pas un renoncement ; c’est au contraire un acte politique visant à remettre en cause l’institution anti-démocratique de ces élections, un premier pas, mais un pas significatif, vers une nouvelle constitution. Celles et ceux qui agissent dans des actions alternatives, les Gilets Jaunes, les défenseurs du climat, au premier rang desquels on trouve la jeunesse qui s’est abstenue à près de 80 % lors des dernières consultations électorales, les féministes, les militants de la gauche de la gauche peuvent trouver dans une campagne de boycott un premier terrain de rencontre pour un prolongement politique de leurs actes, un processus qui peut ouvrir en grand leur imaginaire politique.
A l’appui de ces constats, il est un autre élément qui a beaucoup compté dans mon choix.
Au-delà des incertitudes liées à la pandémie, des angoisses de nos compatriotes, au-delà des décisions désordonnées et des mesures autoritaires du pouvoir en place, il y a des réactions positivement interpellantes dans les réflexions et le choix qui se dessinent chez nombre de citoyens : le développement des services publics proches d’eux, le produire français, le producteur et le consommateur proches l’un de l’autre, des denrées alimentaires saines….
Telles sont, entre autres, les aspirations à des changements de fond, à une vie meilleure. Ces aspirations à des changements profonds ne sont-elles pas autant d’appels à une autre société ?
Il faudrait alors exclure de cette soif de changement toute évolution, toute transformation dans le système politique et dans le système électoral vieux de 60 ans, nocif au plus haut point pour la vie des humains et pour la nature ?
Je suis profondément convaincu du contraire. En boycottant les élections à venir, je suis persuadé de m’inscrire pleinement dans ces mouvements citoyens naissant comme dans ceux que nous avons déjà connus.
Enfin, je veux souligner qu’en boycottant les élections présidentielles, je reste en accord profond avec la position communiste qui a consisté en 1958, seul en tant que parti, à rejeter et combattre le pouvoir personnel que le Général De Gaulle installait. De la même manière, je reste fidèle à mon vote à l’Assemblée Nationale contre la loi Chirac/Jospin couplant les législatives avec les présidentielles.
Le 14 janvier 2022